vendredi 5 juin 2009

Fiction: Il a suffit d'un regard

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Cette femme il l’aime. Pour vous dire tout s’est joué au premier regard. Les femmes il en a connu des biens, des moins biens, des bonnes et des moins bonnes, suffisamment pour ne plus avoir rien à regretter. Combien ? il n’en a aucune idée, il n’est pas du genre à comptabiliser, faire des comptes c’est pas son truc, une chose est sûre : les prénoms de ses ex s’empilent comme les ouvrages de sa bibliothèque en bois mélaminé dans le répertoire téléphonique de son vieux Siemens les unes au-dessus des autres, ces prénoms il les connaît par cœur, il les a tous sauvegardés, il a tenus à les garder en mémoire, ces histoires courtes ou longues qui ont fait de lui, c’est selon, un connard ou un chic type, il n’a jamais pensé à les supprimer complètement de sa vie, même celles qui l’ont poliment ou cruellement dégagés de leurs existence ordinaires, à coup de longues lettres étudiées, d’un tête à tête douloureux ou de sms sec, d’ailleurs ces prénoms sont les dernières reliques qui lui restent de ces femmes, mais jamais il ne pensera plus à rappeler l’une d’entre elles, les histoires sérieuses qui se comptent en mois côtoient les flirts et passades qui n’ont duré que quelques semaines ou quelques heures dans ce même répertoire gris, froid et impersonnelle comme dans un musée d’une grande métropole où les expositions itinérantes contemporaines narguent les grandes œuvres de maitres classiques, nos vies amoureuses sont d’immenses musées froids qui ne se referment jamais vraiment où l’on se laisse parfois étourdir par le courant d’air des souvenirs. Son regard a croisé le sien, ou peut-être l’inverse, il s’en souvient plus, enfin il pense que cela s’est passé comme cela, il est certain, leur premier regard avait quelque chose de bouleversant, de romantique. Tant pis si ce ne fut pas le cas, lui pense que ce fut ainsi, c’est ce qui compte. Tout s’est joué au premier regard mais tout semblait s’être estompé, suspendu, figé au premier regard. Il ne sut plus quoi faire après ce premier regard, ce mouvement des yeux d’à peine cinq secondes qui définirait l’agenda de ses pulsions émotionnelles, de ces émois sentimentales des prochaines décennies. Minois angélique. Sourire éclatant. Dents harmonieusement agencés aussi brillantes que de la porcelaine chinoise. Grain de beauté aguicheur à l’extrémité de la lèvre supérieure. Longues mains raffinées apprêtées aux longues et tendres caresses de nuits extatiques. Voix feutrée légèrement aristocratique. Elle est une espèce rare, sans fard, elle se distingue, naturelle, elle vous fait croire à l’impossible, aux contes de fées, à cendrillon et à toutes ses histoires qui font croire aux petites filles que les princes charmants existent, que même les grenouilles deviennent des princes, que vous êtes un potentiel prince charmant. Elle replace une mèche, détourne son regard espiègle, l’air de chercher quelque chose, quelqu’un, elle est ailleurs, lointaine, puis avec la même langueur elle ramène sa coupe de kir sur ses lèvres roses pourpres et fins, du bout des lèvres avale presque une goutte du liquide brillant et grenâtre, et roule ses deux prunelles noisettes juste en face des siens. Il attendait cela presque comme si ce fut une éternité, oui ces cinq secondes valaient une éternité comme milles ans en valent une minute dans les cieux. Elle le regardait désormais avec ce sourire timide qui vous presse de balancer un mot, rien qu’un mot. Lui l’observe, l’examine sur toutes les coutures, aucun détail ne lui échappes, ces moindres mimiques, les mouvements de ces cils, ces cheveux qui voletaient avec hésitation, il les a disséqués de manière presque clinique et casés tout ces détails quelque part dans sa mémoire à moitié imprégnée par cette créature presque onirique. Puis ramenant sa nervosité à une fausse quiétude, il lui demande un peu maladroitement pourquoi est-elle aussi rêveuse, au fond il aurait voulu lui demander à qui penses-t-elle si elle ne pensait pas à lui à l’instant même ? Elle lui répondit d’un ton minaudier : « à personne » suivi de ce même sourire timide, presque agaçant pour la circonstance, qui immédiatement lui a fait regretter d’avoir posé une question aussi stupide ?


Cinq minutes de silence, d’ennui et de pesanteur plus tard, elle lui lança comme ça un peu narquois : « et toi dis moi à quoi tu penses pourquoi tu ne dis rien? »

Il lui répondit très naturellement- parce que pour la première fois il voulait avoir des couilles, il se souvient, ça l’a profondément marqué ce petit mot de rupture laissé par une ex qui lui disait très lapidaire : « pour aimer il faut avoir des couilles chéri, bon vent »- en lui pénétrant du regard : « Je pense à moi qui te regardes, et qui ne sait quoi te dire de séduisant, bref à toi ».

Il savait que ce qu’il venait de lui dire était plus beau que tout ce qu’il aurait eu envie de lui dire.


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