samedi 9 mai 2009

Fiction: L'étrangère


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Dedans. Cerné, conquis, elle le surprit, Il la suivit. Une mèche rebelle soumise, un filet de larme retenu, un sourire jeté en pâture, des détails qui n’en sont plus uns. Son cœur vacille entre le trouble de la première minute et l’espoir des milles à venir. Rencontre inespérée dans un bar, elle, juste pour un verre, lui pense que ce n’est jamais pour un verre comme ce n’est jamais pour un soir. Sous des paupières espiègles miroitaient ses yeux canailles. Ses yeux, tout un programme de séduction : l’ondulation sagace de ces cils, deux jolies prunelles en forme de noisette, des sourcils noirs de jais en éventails. Dehors. Elle marcha à ses côtés, joyeuse comme une tourterelle au printemps, mutine, elle narguait sa simplicité de sa coquetterie enfantine, rieuse, tout lui semblait drôle; son cœur qui battait jusqu’à l’affolement, sa main qui tremblait presque comme une feuille morte, la rougeur naissante de ses pommettes, de sa bouche sensuelle jaillissait comme un Jeyser un rire pince-sans-rire. Ce genre de femme là, on aimerait s’en méfier, leur bonheur nous indispose, leur plaisir nous ennuie, leur gaieté nous agace et puis on finit par s’y habituer de ses exaltations dithyrambiques. Naïade empourprée, déesse des rues sauvages, sylphide de contrées exotiques, sa silhouette l’obsède. Il était un roi Perse tandis qu’elle était sa Babylone, mais ce fut elle qui le possédait, les rôles n’en finissent pas de s’inverser. Les pensées l’encombrent, elles se bousculent tel un essaim d’abeilles butineuses. Faire le tri absolument. Tout avait l’air important dans ce qu’il pensait, puisque tout le ramenait à elle. Elle prit sa main dans un élan de joie et d’enthousiasme naturelle. Une décharge de frisson électrique traversait son corps de la tête au pied, il avait lu ça quelque part dans un roman d’une mièvrerie assommante, cette histoire de frisson lors du premier contact physique. Ces mains très douces glissaient dans les siennes presque moites, et ils poursuivirent leur bout de chemin comme deux amoureux en goguettes alors qu’il s’interrogeait s’ils allaient réellement l’être. Il redoutait le moment où il allait laisser librement respirer ces doigts fins, oblongues, interminables, ces doigts d’une beauté titienne, ces doigts qui allaient peut-être parcourir son corps, peut-être des pieds à la tête cette fois-ci, des doigts fureteurs, des doigts malices, des doigts coquins et soumettre son âme à des volontés farouches et déraisonnables. Puis elle s’arrêta brusque comme une gamine capricieuse, lâcha sa main, sorti une étui à cigarette couleur chrome, pris un briquet en plastique noir, alluma une fine tige de Marlboro light, et aspira une grosse bouffée de fumée, elle était exquise, fallait la voir la gamine, il aurait voulu qu’elle le refasse ce geste, pour la beauté du geste comme seuls sont capable de le dire savoureusement les commentateurs sportifs, aussi juste pour qu’il l’immortalise en cliché noir et blanc, monochrome, à accrocher, punaiser, fixer sur le mur lézardé de sa piaule, la seule et unique fois où il mériterait de prendre en photo une femme qui le tourmentait, ce mot « tourmenter » sonner étrangement dans sa bouche, pour elle, il serait un piètre Helmut Newton, dans son cas ce serait déjà une flatterie énorme. Ce visage faussement candide, caché derrière ces volutes de fumée transparent, feignait une effronterie calculée. Il inspira longuement, courageusement repris sa main et grand ouf elle se laissa faire. Ils marchèrent à la lisière de son silence et de ses babilleries incessantes, ils étaient heureux, elle, heureuse de vivre, lui, heureux d’être juste à ses côtés, au fond il reconnaît comme par lucidité être le moins enviable. La femme se distingue de l’homme généralement à sa loquacité, elle a des idées sur tout, sa verve grandiloquente se heurtait à ses silences fascinés, il osait deux, trois mots à la hauteur de son esprit vif, tranchant, il risquait des réponses qu’il jugeait inutile mais intelligente, sans trop réfléchir, oh Dieu sait combien il avait naturellement plus de répondant, elle osa lui dire un truc du genre : « tu me fais rire… je t’aime bien …. tu es drôle », il ne sut comment le prendre, mais il le prit de telle manière à ce que leurs dialogues s’enchainent encore de manière fluide. « Où allons-nous ? » demanda-t-il très naïvement, elle lui esquissa juste un sourire qui creusait largement ses pommettes saillantes tel un immense détroit sans fin. Après quelques secondes de silences elle le fixa du regard comme si elle allait annoncer quelque chose de très important, (au fond il s’attendait à ce qu’elle lui dise quelque chose de très important pour leur sort commun !) elle avait ce regard presque grave, et qui inévitablement provoque une réaction intérieure, un chamboulement inconscient et nerveux à la personne regardée, mais disproportionnée par rapport aux propos tenus: « on va chez moi » dit-elle avec un sérieux tout empruntée. Automatiquement tel un reflexe pavlovien, des milliers de questions capitales sur ce type de situation refluèrent dans son esprit : « vais-je rester ? », « comment saurais-je si elle veuille que je reste ? », « serais-je toujours à la hauteur si je reste chez elle ? » etc. Ce « on va chez moi » décupla son tourment, et elle ne faisait rien, ne disait plus rien de plus pour le soulager, ni lui d’ailleurs, il s’est enfermé dans un mutisme stupide, en vrai abruti qu’il était. A quelques encablures de sa demeure, ruelle étroite lacérée atrocement par les stigmates des débris de solitudes, trottoirs pisseux hostiles éclairés passablement par un poteau électrique légèrement courbé, inclinaison à la tour de pise, portes barricadées sur des réalités noires, fenêtres décaties protégeant des lambeaux de vies mornes, murs survivants à l’inspiration sauvage d’artistes plaintifs, quelques corps du désespoirs allongés dans de grandes couvertures sordides - ils se sont tût depuis un laps de temps - elle désigna de son index droit son appartement ; immeuble ordinaire sur trois étages, orné exclusivement de balconnette en fer forgé. Sur le seuil d’un minuscule couloir, elle lui dit avec un sourire gêné : « merci», rien de plus, et puis quoi, à quoi pouvait-il s’attendre. Elle lui chiffonna son numéro de portable avec une précipitation désespérée sur un faux kleenex, lui déposa un baiser tendre sur la joue comme une jeune mère le ferait à son fils de quatre ans et s’engouffra avec cette démarche aérienne qui lui était propre dans un couloir très sombre. Comme dans les films il se sentait un peu con, tout seul, abandonné. Il attendait qu’elle se retourne pour voir si elle pensait qu’il la regarderait rentrer chez elle mais rien, non rien.

Son regard c’est tout ce dont il se souvient. Ce soir dans son lit, les yeux rivés sur son plafond, comme les cinq chiffres fétiches d’un parieur du PMU, tout ce dont il espérait, tenait plus qu’à dix chiffres sur un morceau de mouchoir en papier tout froissé.

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