samedi 14 juin 2008

Dîner sans chandelle

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Au moment où ils pénétrèrent dans cet édifice couleur brique, intérieur cosy appelé Kudeta, le coup de feu n’a pas encore lieu, le chef devait fignoler ses dernières préparations, goûter ses sauces, ciseler quelques herbes, ou peut-être même fumer sa dernière gauloise, il était à peine dix neuf heures trente.

Ils sont les premiers clients, les serveurs avaient l’air de les attendre impatiemment, comme si on les a secrètement tenu au courant de cette soirée importante (dans une certaine mesure). Il la suivait d’un pas assuré alors qu’elle se dirigeait vers une table qui lui servirait d’instrument afin de rendre ce dîner agréable pendant trois bonnes heures.

On les installa à une table dans un coin jouxtant un couloir qui mène vers les chambres de l’hôtel du restaurant. Elle se posa confortablement sur une banquette rouge, et lui en face faisait dos au reste de la salle et du monde pour mieux se concentrer sur elle, il n’aurait plus que son visage angélique comme horizon et ce tableau figuratif aux couleurs bariolées flanqué au dessus de sa tête enturbannée par un bandeau vert marin qui lui donnait des airs de femme des années seventies.

Leur commande prise, les plats servis, il espérait imposer le rythme de leur conversation pour camoufler son manque d’assurance et en démontrer le contraire, finalement la grâce qui dégageait de son regard pétillant équilibra leur conversation.

Il l’ écoutait parler très attentivement, il lui fixait du regard, suivait chacun des mouvements de ses lèvres, même une alerte à la bombe ne pouvait le perturber, il était extrêmement concentré - concentrer tout l’intérêt d’un mâle sur soi c’est tout le génie d’une présence féminine – il ne faisait plus attention à rien, ni même à ces clients italiens bien trop bruyant qui ne cessait de lever un verre en l’honneur de je-ne-sais-quoi, peut-être bien qu’ils spéculaient sur la victoire de l’Italie à l’Euro, ou de cette rousse à la plastique généreuse juste à la droite de celle-ci. Par moment il ne s’empêchait de l’interrompre, mais rapidement il la laissait reprendre le fil de sa digression, il se laissait enivrer par chaque mot, chaque phrase - dont ses fines lèvres donnaient soigneusement vie - lorsqu’elle les fouillait dans le tréfonds de ses pensées pour tenter d’expliquer le pourquoi ou le comment d’une idée, d’un point de vue. Il scrutait son visage avec beaucoup d’acuité, examinait précieusement les plissements de ses lèvres, le mouvement de ses yeux brillants, le battement très irrégulier de ces cils, l’impulsion de ses jolies mains raffinées pour appuyer son intonation, il s’extasiait devant son sourire un brin charmeur, il considérait ces moments de réflexion avec beaucoup d’emphase, rien ne lui échappait dans ses propos, dans ses gestes, il essayait de déceler dans ses mimiques ce que ces mots ne pouvaient trahir.

Lui n’avait qu’une seule envie ; lui plaire, mais comment lui plaire ? Il était tellement intimidé. Derrière son air assuré quelque peu suffisant d’homme libre, prêt-à-tout, il dissimulait surtout sa peur atroce terrible de lasser cette femme qui l’écoutait tantôt sérieusement, tantôt malicieusement. Il avait lu- il y a quelques temps dans un magazine masculin chez Stephan son coiffeur- que les rapports hommes et femmes se sont tellement complexifiés ces dernières décennies, les hommes et les femmes ne se sont jamais aussi mal compris à notre époque, cette thèse débile lui revenait à l’esprit, écumait ses pensées, du coup il doutait, engonçait dans cette angoisse soudaine, ça lui apprendra de feuilleter ces magazines aux idées creuses et sans consistances, mais est-ce que la pertinence de cet article dépassait les frontières européennes, il n’en avait cure de toute façon, il était angoissé en ce moment, il se méfiait de ses a priori à elle, de ses premières impressions, du décalage de leurs sentiments respectifs, alors que pouvait –il faire ? il n’avait pas vraiment le choix, il devait se servir de la seule arme qu’il possédait orgueilleusement, celle que son grand-père lui légua comme un héritage sacré, celle qui se transmet naturellement de père en fils, inscrit dans les gènes, scellée à jamais dans l’histoire de leur dynastie, cette arme fusse-t-elle usée, aujourd’hui lui est encore d’une grande utilité, c’est cet humour emprunt de cynisme et d’autodérision, marque de fabrique familiale, ça lui a toujours servi dans des ses moments pauvres, d’ailleurs il reconnaît que c’est surtout pour cela qu’on l’apprécie le mieux, ça l’embête parfois, mais au moins on l’apprécie. En matière de séduction, il ne croit pas au mythe de don juan, il avait lu un tas de littérature ambitieuse et de référence sur la question, appris par cœur une pléthore de citations de rhétoriques amoureuses, mais il n’en a jamais était convaincu de l’efficacité de ceux-ci. Il s’imaginait encore moins pouvoir être un ersatz de Casanova ou se prendre pour Solal d’Albert Cohen. Ce soir il est venu manger, parler de tout, de rien, de lui, d’elle et apprécier chaque minute, chaque seconde avec cette jeune femme qui lui était inconnu il y a à peine quelques mois. Cette femme qu’il prétendait déjà avoir vu, cette femme qui prétendait la même chose, ils se sont certainement croiser dans leurs rêves ou dans des vies antérieurs. Cela est fort possible, il a envie de le croire, il croit à tout ce soir même à la paix dans le monde.

La soirée prend fin joyeusement, ils rigolent toujours comme un jeune couple marié, il veut rester taquin, malin, coquin, elle est aussi taquine, joyeuse, pensive, ils ont l’air heureux en tout cas vu de l’extérieur, mais lui se pose des questions, à quoi pense –t-elle au final ?

Ce soir c’est elle qui le raccompagne, ce serait une première pour lui, il n’en pas l’habitude, souvent c’est lui qui propose de raccompagner, son maschisme primaire en prend un coup. Dans une bonne comédie romantique à la Woody Allen, il l’aurait raccompagné chez elle, puis elle l’aurait proposé de prendre un dernier verre ensemble et je laisse votre imagination deviner la fin de leur soirée. Mais le réalisateur d'Annie Hall n’est pas l’auteur de cette histoire, un dîner sans chandelle, qui aurait inspiré plus d’un scénariste. Il conclue cette soirée sympathique (sympathique est le terme approprié) par un trait d’humour, c’est la dernière impression qu’il veut laisser, il lui claque deux bises sur la joue, et s’engouffre comme un inconnu dans l’immense cape ténébreuse de la nuit.

1 commentaire:

Karine Love a dit…

Quelle belle déclaration d'amour Miandra, elle en a de la chance!!!
apparemment toi non!!
T inquietes ca viendra, elle n'est pas si grande et mince que ca (lol) si tu vois ce que je veux dire.
Toutefois, il y a une très grande partie dont j'ai rien compris, faute de culture et de vocabulaire... lol